mardi 15 février 2011

Maman, j’ai mon monotone Manhattan à moi (extrait)


      « Alors maintenant, je le lui dis à lui. Je ne devrais peut-être pas. Il en a l’air si effaré. Mais aussi doucement souriant derrière ses vieilles rides oublieuses…
      Tu n’en auras pas, toi, de ces sillons qui viennent marquer dans la chair ce que la mémoire n’est plus capable de retenir et que seul le doigt attentif d’un vieux compagnon peut parcourir ou lire.

      Es ist… als ob ich aus einem Traum hinauskriechen würde, und in einen anderen Traum stolpere.  A dream ? Perhaps ? Sogno ? Mi, son dimenticato di quella... mi ricordo come un sogno !

      Lui ? ! Il n’a même pas l’écriture… Il lui manque une certaine souplesse du poignet. Cruelles litotes : il y a trop de raideur dans cet avant-bras mutilé, promontoire d’os sauvé de l’amputation par les adjoints en civil des médecins aussi maudits que les shrapnels damnés. Tous fabriqués par ceux qui ordonnent les guerres et la maintenance afférente...
      Il peut à peine signer son nom.
      Un jour il est simplement revenu de la guerre.
      C’était bien avant toi et qu’il ne te rencontre.
      C’était bien avant moi et qu’on me pense.
      Mais je n’ai pas trop envie de participer aux plans inconscients des hommes…
      Un jour il est revenu de la boucherie.
      Il ne pouvait plus signer son nom.

      Lorsque ma conscience d’enfant me permit d’avoir une mémoire d’adulte, il m’était on ne peut plus habituel, cet homme. Debout sur ses deux pieds, travailleur, courageux, violent et imprévisible — l’inquiétude de ne pouvoir nourrir les siens le taraudait autant que ses douleurs — un œil et un doigt en moins et une autre main curieuse. Mais bien des mineurs avaient des apparences pas plus normales.
      Plus tard, il raconta assez volontiers ce qu’il lui était arrivé. Il n’avait pas à rougir de ses tortures passées. Même le gouvernement de cette époque avait fini par reconnaître leur validité.
      Lorsque, pour la première fois, je le vis un été au jardin, en maillot de bain, j’eus en tête encore plus de questions. Je pus les poser et ce fut toi qui m’interrompis régulièrement, plus lasse que lui de mes enquêtes sur ce corps curieux dont tu partageais les tourments et les contradictions, les tendresses brisées et la géographie perturbée. »

Aucun commentaire: