jeudi 8 janvier 2009

Actus





Après Ce soir de Juillet, Nuitamant, La Plaine Mer et Chirurgie Chatte, édités chez Flammes Vives en 2008, la revue Chemins de Traverse aux éditions de L’Ours Blanc publiera dans son numéro de décembre deux poèmes extraits du recueil MUSIQUES : Je ne suis plus amoureux de toi et Nouvelle-Orléans







Méditation N°137



Ce qui me fait plaisir ? La lecture de Malraux, méditer les textes de Descartes et de Montaigne, la musique baroque, le désert, une corbeille de fruits frais, un vin délicat…
Oh, pardon, vous pensiez à autre chose en posant la question ?
Mais là, il y a une confusion ; vous vous attendiez sans doute à me voir épiloguer sur les maladresses reproductrices ataviques et stéréotypées que l’on a l’inconscience criminelle d’appeler sexualité, ou sur leurs déguisements pitoyables, le soi-disant érotisme ! Détrompez-vous, ces fariboles me permettent juste de retrouver rapidement un esprit disponible pour autre chose de bien plus créatif, et sans devoir recourir à l’automutilation, économiquement moins rentable.

Méditations Incongrues, extrait du vol. II : L’extase des clercs

Petits papiers sur le cinéma et la culture


[...] Qu’une œuvre soit le reflet de son temps n’est pas la question : que peut-elle être d’autre, puisque son créateur est enfant de ce temps ? Qu’elle puisse traverser les années, toujours évoquer de l'inédit pour ceux qui apprennent à lire et à relire, étonner par un sens nouveau ou un style original est autre chose, mais constitue aussi bien le sol d’un travail artistique. Personne ne contestera qu’une œuvre d’art se révèle dans le respect de certains codes de phrasé et de diction. L’esthétique est d’abord formelle ; ensuite - le retour du temps - elle devient glorieuse, tendre, suave, maléfique ou pompeuse. Ceci est un autre débat, futile et réservé à un soir que j'aurais envie d’être futile.
Ce soir, ami lecteur, j’ai surtout peur...
Je ne suis pas passéiste ; je suis prêt à admettre que chaque époque a son génie, sa terreur et sa souffrance ; je suis prêt à considérer qu’il y a de l’intelligence en ce siècle, il y en a bien des preuves. Malgré tout j’ai peur, car nous contribuons de plus en plus, par nos soucis imaginaires de possession, à la fabrique de générations sans lecture et sans effort intérieur : les illusions de quelques dinosaures bibliophiles et esthètes seront vite désossées par la cuistrerie érigée en dogme, la violence idéologique et la pression démographique utilisées comme arguments de vente. La publicité est déjà tellement présente en nos vies que nous ne pouvons presque plus regarder un film, s’il n’est pas sémantiquement typé et saucissonné ! King Arthur restera pour beaucoup une histoire de loup qui cavale !
J'ai tant de fois radoté « Ignore ton histoire et tu seras condamné à la répéter » que je finis par oublier certains aboutissants de mon proverbe : sommes-nous assez héros pour sortir d’un tel « Disque Rayé », assez héros pour insister sur la lecture dans un pays (et dans ce monde) tellement convaincu de l’excellence de son passé qu’il ne voit plus croître l’illettrisme ?
Sauf s’il était devenu nécessaire de le faire croître caché, pour que l’esprit de réflexion et de critique disparaisse et que les loups recommencent impunément à bouffer les agneaux avec l’aide des chiens acquis au consumérisme. Triste fable et pauvre seconde apparition du loupiot [...]
Alors, rêvons encore quelque temps, ami, avant le Soleil Vert.
A quoi ressemblerait une salle obscure où un film éternel déroulerait ses spires sans personne pour s’endormir entre ses bras, et rêver d’un film qui se déroulerait dans une salle obscure sans âme pour le regarder ressentir, s’endormir et écouter son rêve monocorde chanter une histoire d’enfant, et s’endormir, une salle obscure et vacillante, dans la lumière entre les lignes ?
Préparez-moi donc le printemps, monsieur le cinéaste! Cuisinez-moi du rire et du pathos, accommodez encore Zélig et Napoléon à une sauce du vieil ours Orson. Faites-moi un été de toutes pièces, où le travelling panoramique poussiéreux de la diligence de Stagecoach, privée de Peaux Rouges un instant, ouvre sur un Fields bourgeonnant bougon au bras de Bugs Bunny. Réchauffez-moi, cuistot de la pelloche, un automne pékinois plein d’images de femmes nues dansant sans vulgarité leur sensuel tango d’amoureuses devant Perceval affairé à bouchonner Rossinante. Réduisez-moi une sauce hivernale où le divin Kurosawa se marierait enfin avec le succulent Fellini : à l’abri de tous les maires de palais ils mettraient au monde des desserts de toiles fantastiques...
« Dis, tu te souviens, Robie, des mystères de l’Id ? Oui, monsieur, mais aussi de la recette du whisky. Faut pas négliger les valeurs fondamentales, quand même. »

En tout cas, à ce qu'il me semble, aujourd’hui nos rêves sont préparés, prédigérés et préchiés pour des clients dont l'éducation limite la capacité d’attention à celle d’un poisson rouge. C’est sans doute nécessaire afin qu’ils n’aient pas le délai gustatif (la distanciation) pour se rendre compte qu’ils bouffent de la merde et qu'ils en sont heureux.

[…]

Extrait de « Petits papiers sur le cinéma et la culture »


Parfois mes mots camelot


« Mes mots sont de toujours !
Hurlait le camelot,
Ces fameux mots-là
Sont d’avant toute guerre,
Sont d’avant tous les temps,
Toute génération d’avant !
Mes mots sont pubères
Depuis belle lurette.
Tous ces mots d’aujourd’hui
Ne veulent plus rien dire ;
Tristes notions
D’après tous les déluges,
D’après tous les refuges,
D’après toutes les vies,
D’avant toutes les fêtes…
Achetez, achetez
Soyez pas bêtes,
Pas chers et très beaux
Mes vieux mots. »

J’en achetai un lot.
A la maison sitôt
Je défis la faveur,
De mon paquet de fleurs.

Au fond de la boîte vide
Un seul verbe avide,
Terré au coin du carton,
Toutes dents affûtées
M’attendait :

RACONTER




Poême d'André Chénier


« Dans nos vastes cités, par le sort partagés,
Sous deux injustes lois les hommes sont rangés.
Les uns, princes et grands, d’une avide opulence
Etalent sans pudeur la barbare insolence ;
Les autres, sans pudeur, vils clients de ces grands,
Vont ramper sous les murs qui cachent leurs tyrans,
Admirer ces palais aux colonnes hautaines
Dont eux-même ont payé les splendeurs inhumaines,
Qu’eux-même ont arrachés aux entrailles des monts,
Et tout trempés encor des sueurs de leurs fronts. »

André Chénier trahi et guillotiné par ses propres amis vérifie encore une fois l’adage de Talleyrand.

Ce morceau brutal, tiré d’Hermès (prologue du 3e chant), montre assez que si le poète peut être confondant de naïveté quant à sa perception de la réalité des hommes, son analyse du monde est, elle, confondante de lucidité.

Pourquoi j’aime André Chénier ? Mais à cause de la pureté de ses vers !