mardi 12 janvier 2010

Théophile de Viau

Voici un modèle d’humour, de mélancolie et de bonheur de vivre ! Il est fils spirituel de Montaigne et de Rabelais, et termine sa vie sous les coups de la canaille et de la racaille assemblées.

Ah, écrire comme il le conseilla, quel idéal, quel rêve ; et quel espoir !

Élégie à une Dame


« Ce métier est pénible, et notre sainte étude
Ne connaît que mépris, ne sent qu'ingratitude :
Qui de notre exercice aime le doux souci,
Il hait sa renommée et sa fortune aussi.
Le savoir est honteux, depuis que l'ignorance
A versé son venin dans le sein de la France.
Aujourd'hui l'injustice a vaincu la raison,
Les bonnes qualités ne sont plus de saison,
La vertu n'eut jamais un siècle plus barbare,
Et jamais le bon sens ne se trouva si rare. […]
La coutume et le nombre autorise les sots,
Il faut aimer la Cour, rire des mauvais mots, […]

L'ignorant qui me juge un fantasque rêveur,
Me demandant des vers croit me faire faveur,
Blâme ce qu'il n'entend, et son âme étourdie
Pense que mon savoir me vient de maladie.
Mais vous à qui le Ciel de son plus doux flambeau
Inspira dans le sein tout ce qu'il a de beau,
Vous n'avez point l'erreur qui trouble ces infâmes,
Ni l'obscure fureur de ces brutales âmes,
Car l'esprit plus subtil en ses plus rares vers
N'a point de mouvements qui ne vous soient ouverts.
Vous avez un génie à voir dans les courages,
Et qui connaît assez mon âme et mes ouvrages. […]

Pour façonner un vers que tout le monde estime,
Votre contentement est ma dernière lime,
Vous entendez le poids, le sens, la liaison,
Et n'avez en jugeant pour but que la raison :
Aussi mon sentiment à votre aveu se range,
Et ne reçoit d'autrui ni blâme ni louange.
Imite qui voudra les merveilles d'autrui,
Malherbe a très bien fait, mais il a fait pour lui,
Mille petits voleurs l'écorchent tout en vie :
Quant à moi ces larcins ne me font point d'envie,
J'approuve que chacun écrive à sa façon,
J'aime sa renommée et non pas sa leçon. […]

Mon âme imaginant n'a point la patience
De bien polir les vers et ranger la science,
La règle me déplaît, j'écris confusément,
Jamais un bon esprit ne fait rien qu'aisément. […]

Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l'eau,
Ouïr comme en songeant la course d'un ruisseau,
Écrire dans les bois, m'interrompre, me taire,
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Après m'être égayé par cette douce erreur,
Je veux qu'un grand dessein réchauffe ma fureur,
Qu'un œuvre de dix ans me tienne à la contrainte,
De quelque beau Poème, où vous serez dépeinte :
Là si mes volontés ne manquent de pouvoir,
J'aurai bien de la peine en ce plaisant devoir.
En si haute entreprise où mon esprit s'engage,
Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
Que n'ont jamais pensé les hommes et les Dieux. [ … ] »


Première journée

Ch 1

[…] Il faut que le discours soit ferme, que le sens soit naturel et facile, le langage exprès et signifiant ; les afféteries ne sont que mollesse et qu'artifice, qui ne se trouve jamais sans effort et sans confusion. Ces larcins, qu'on appelle imitation des auteurs anciens, se doivent dire des ornements qui ne sont point à notre mode. Il faut écrire à la moderne. Démosthène et Virgile n'ont point écrit en notre temps, et nous ne saurions écrire en leur siècle. […] Il faut comme Homère faire bien une description, mais non point par ses termes ni par ses épithètes. Il faut écrire comme il a écrit, mais non pas ce qu'il a écrit. […] les esprits faibles que l'amorce du pillage avait jetés dans le métier des poètes, de la discrétion qu'ils ont eue d'éviter les extrêmes redites, déjà rebattues par tant de siècles, se sont trouvés dans une grande stérilité, et, n'étant pas d'eux-mêmes assez vigoureux ou assez adroits pour se servir des objets qui se présentent à l'imagination, ont cru qu'il n'y avait plus rien dans la poésie que matière de prose, et se sont persuadés que les figures n'en étaient point, et qu'une métaphore était une extravagance. […] Mon livre ne prétend point d'obliger le lecteur, car son dessein n'est pas de le lire pour m'obliger, et, puisqu'il lui est permis de me blâmer, qu'il me soit permis de lui déplaire.



Pourquoi j’aime Théophile de Viau ? Mais à cause du caractère très… actuel de son trait… d’esprit ?

Aucun commentaire: