mardi 11 août 2009

Trois cartes postales et puis s'en va

Regardez !
Vous voyez, là-bas ?
Dans ce bras perdu d’une spirale insignifiante ?
Ce système solaire sans intérêt !
Et cette troisième planète pleine de structures biologiques transitoires…
Vous voyez ce tas de mammifères débiles, remplis de terreurs, serrés fiévreux les uns contre les autres, dans la froideur d’une nuit qui n’est autre que celle qu’ils produisent eux-mêmes ?
Vous voyez les hommes ? Ils attendent une aube qui ne leur a pas fait la promesse de naître. Ils ignorent un crépuscule qui est pourtant déjà là.
Vous nous voyez ? Incapables de retenir la chaleur qui est en nous et qui nous fuit, irrépressible, nous laissant exsangues et faibles à l’infini.

Vu ?
Ok ! Bon ! Ben je ne veux pas en faire partie ! Que quelqu’un allume la lumière !
OÙ EST CE PUTAIN D’INTERRUPTEUR ?

Et pourtant…

Et pourtant j’ai vu les plaines rocheuse de Timanfaya, où les véhicules frayaient sous les congères de roc figées dans leur élan vers le ciel, arcs ; pétrifiées : plein-cintres - qui n’en finissaient pas de tomber.
Et pourtant j’ai vu les volcans bleus d’Hymeth laGande où les laves glacées, mercenaires appointées par les marchands de la capitale, poursuivent le voyageur, amoureuses persécutrices et perspicaces, publicitaires prostituées, jusqu’aux portes électriques de l’astroport, vous déchirant le cœur du chœur de leurs adieux.
J’ai humé les vins de France sur Terre Originelle et fus pourtant séduit par un cru du Chili à deux sous le litre, dont le nez, la jambe, l’ambre et le gouleyant mettaient les yeux dans l’ombre de leurs larmes.
J’ai goûté l’araignée savoureuse du charolais, et son merlan, perdu dans le débat entre protéines et plaisir, le turbot allemand et le colombo de requin. Egaré entre patrie et exotisme, j’ai engouffré les parasites sucrés des confiseurs sauvages martiens - lorsqu’il était possible de sortir sans oxygène -, et je me suis nourri des divines omelettes d’indigènes de Flor Bifida (seule technique, chez eux, de planning familial).
J’ai entendu les chœurs de Jaune Sidantha dont les arpèges pétrissent les muscles mieux que tous les canisièges, et dont les crescendos paralysent les scaraboïdes, brisent les chitines, tuent mais libèrent les fauves ou les hommes.
J’ai entendu chanter les sanglots d’Amalia Rodriguez au fond de mon âme, preuve enfin que j’en avais une, si petite à côté de la sienne, mais une.
J’ai caressé les poussins de Gerkande. Ils sont si doux : les doigts s’endorment, pourrissent et tombent de ravissement, repoussent le temps d’un mystère, dans une douleur exquise, tout à la joie de renaître pour sommeiller à nouveau et se corrompre encore.
J’ai touché les peaux des épousées adipeuses gracieuses hottentotes, tonneaux de cellulite souriants, dont les yeux et les dents, blancs îlots nacrés, émergeaient de faces boudines noires, vite mortes, lustrées et grumeleuses.
Je me suis ébloui de coraux langriens. Ils brillent la nuit en émettant des infrasons. Quand on les pose sur la langue des femmes phosphorescentes leur chant devient lumineux, porté par des airs soudainement radoucis, vers les hommes sombres qui délaissent alors la guerre.
J’ai vu les vols des coccinelles coruscantes sur la saturnienne Gran Buss’Algue, et ces prédateurs féroces, frénétiques, immondes, minuscules, laisser les os curés de troupeaux entiers, carcasses nues de bœufs des sables, monstres de viandes transformés en brindilles blanchâtres, sifflantes de leurs creux dans les vents, fifres de fortune.
J’ai visité une foire aux asticotes sur Toruenten Brue. Celle-ci tourna court lorsque les animales furent émancipées avant la fin de la fête par des pontes jaloux de la qualité d’un élevage mineur. Le rut coutumier ne fut donc pas provoqué lors d’une désignation des meilleures lignées de femelles ! L’année suivante les mâles reproducteurs auraient dû produire par téralitres les sucs de beauté. Les stocks, cette saison-là, ne furent pas renouvelés. Les prix flambèrent. Beaucoup d’éleveurs envieux y laissèrent vie ou fortune, et de nombreux clients souffrirent d’être moins coquets pendant un temps. Certain vieillirent...
J’ai applaudi aux compétitions farfelues d’échecs à boules sur la maudite Razalgueth : aucune équipe ne joue trois fois, et toutes les équipes sont tenues de jouer un jour… Chaque manche compte pour une partie et les vainqueurs reçoivent, entre autre, la tête des vaincus.

Et pourtant je suis revenu

Et
Je t’ai vue
dormir à ma place une nuit, un matin.
Je t’ai vue
belle et approximative, ridicule ou pointue.
Je t’ai vue
dans tes films
- déambule -
nue, parcourir une maison inconnue.
Je t’ai vue
seule.
suçoter du bois de réglisse.
allongée diagonale serrée
Je t’ai vu assoupie à ma place affolée, endormie, exténuée.
Je t’ai vu seule,
Dormir à la place où je m’étais perdu.
J’ai senti, goûté, désaltéré des moiteurs acides, toi.
J’ai suivi, d’une langue hésitante, au bain chaque goutte de ta sueur.
Aveugle, j’ai confondu vapeur et hyménée, sécheresse et poivre.
Je t’ai parlé une première fois au sauna de Ham Sian et tu fus amusée.
J’ai suggéré que la visitation signifiait les femmes bien mieux habilitées à être habitées du divin. Et tu as ri ! Aux éclats. Aux anges. Je ne sais plus si tu as demandé que je demeure.
J’ai vu ton rire et entendu ton sourire lorsque la porte, se refermant, me laissa dans l’ombre sèche et la chaleur.

Alors,
Peut-être vais-je laisser le monde
Tourner encore une seconde
Et peut-être vais-je rester
Encore quelques instants à le rêver
Puis après sa mort-elle, devenir un fantôme-moi.
Noctuelles…

Les facéties qui précèdent sont pour toi, extraterrestre joyeuse du sud galactique, rencontrée dans un établissement de bains neptunien. Tu avais si peur de ton rire, si peur de rentrer sur ta planète sans nouvelles : dans bien des endroits de l’univers le téléphone, eh bien le téléphone, ne sonne simplement plus...

Expédition par TransGal : 34 XI 2345 TGM

Extrait (de force) du recueil de nouvelles : Arpenteurs III ou Les Fins des Mondes.

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