mardi 11 août 2009

Fables de La Fontaine

Livre XI fable IV

Songe d’un habitant du Mogol

Jadis certain Mogol vit en songe un vizir
Aux champs élysiens possesseur d'un plaisir
Aussi pur qu'infini, tant en prix qu'en durée :
Le même songeur vit en une autre contrée
Un ermite entouré de feux,
Qui touchait de pitié même les malheureux.
Le cas parut étrange, et contre l'ordinaire :
Minos en ces deux morts semblait s'être mépris.
Le dormeur s'éveilla, tant il en fut surpris.
Dans ce songe pourtant soupçonnant du mystère,
Il se fit expliquer l'affaire.
L'interprète lui dit « Ne vous étonnez point ;
Votre songe a du sens ; et, si j'ai sur ce point
Acquis tant soit peu d'habitude,
C'est un avis des dieux. Pendant l'humain séjour,
Ce vizir quelquefois cherchait la solitude ;
Cet ermite aux vizirs allait faire sa cour. »

Si j'osais ajouter au mot de l'interprète,
J'inspirerais ici l'amour de la retraite :
Elle offre à ses amants des biens sans embarras,
Biens purs, présents du ciel, qui naissent sous les pas.
Solitude, où je trouve une douceur secrète,
Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais !
Oh! qui m'arrêtera sous vos sombres asiles !
Quand pourront les neuf soeurs, loin des cours et des villes,
M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux
Les divers mouvements inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartés errantes
Par qui sont nos destins et nos moeurs différentes !
Que si je ne suis né pour de si grands projets,
Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets !
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie !
La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie,
Je ne dormirai point sous de riches lambris :
Mais voit-on que le somme en perde de son prix ?
En est-il moins profond, et moins plein de délices ?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,
J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords
.


Oui, soit, ce n’est plus très moderne, et le message candide semble de plus en plus irréaliste. Je ne m’en lasse pourtant pas et je m’y reconnais comme vous m’y reconnaîtrez si vous suivez mes livraisons. Pour redonner un peu plus de poivre à mon coup de cœur, je livre la fable suivante qui nous replace bien mieux dans les modes qui trottent...


Livre XI fable V

Le Lion, le Singe et les deux Anes

Le lion, pour bien gouverner,
Voulant apprendre la morale,
Se fit, un beau jour, amener
Le singe, maître ès arts chez la gent animale.
La première leçon que donna le régent
Fut celle-ci : Grand roi, pour régner sagement,
Il faut que tout prince préfère
Le zèle de l'État à certain mouvement
Qu'on appelle communément
Amour-propre ; car c'est le père,
C'est l'auteur de tous les défauts
Que l'on remarque aux animaux.
Vouloir que de tout point ce sentiment vous quitte,
Ce n'est pas chose si petite
Qu'on en vienne à bout en un jour :
C'est beaucoup de pouvoir modérer cet amour.
Par là, votre personne auguste
N'admettra jamais rien en soi
De ridicule ni d'injuste.
Donne-moi, repartit le roi,
Des exemples de l'un et l'autre.
Toute espèce, dit le docteur,
Et je commence par la nôtre,
Toute profession s'estime dans son cœur,
Traite les autres d'ignorantes,
Les qualifie impertinentes ;
Et semblables discours qui ne nous coûtent rien.
L'amour-propre, au rebours, fait qu'au degré suprême
On porte ses pareils ; car c'est un bon moyen
De s'élever aussi soi-même.
De tout ce que dessus j'argumente très-bien
Qu'ici-bas maint talent n'est que pure grimace,
Cabale, et certain art de se faire valoir,
Mieux su des ignorants que des gens de savoir.

L'autre jour, suivant à la trace
Deux ânes qui, prenant tour à tour l'encensoir,
Se louaient tour à tour, comme c'est la manière,
J'ouïs que l'un des deux disait à son confrère :
« Seigneur, trouvez-vous pas bien injuste et bien sot
L'homme, cet animal si parfait ? Il profane
Notre auguste nom, traitant d'âne
Quiconque est ignorant, d'esprit lourd, idiot :
Il abuse encore d'un mot,
Et traite notre rire et nos discours de braire.
Les humains sont plaisants de prétendre exceller
Par-dessus nous ! Non, non ; c'est à vous de parler,
A leurs orateurs de se taire :
Voilà les vrais braillards. Mais laissons là ces gens :
Vous m'entendez, je vous entends ;
Il suffit. Et quant aux merveilles
Dont votre divin chant vient frapper les oreilles,
Philomèle est, au prix, novice dans cet art :
Vous surpassez Lambert. » L'autre baudet repart :
« Seigneur, j'admire en vous des qualités pareilles. »
Ces ânes, non contents de s'être ainsi grattés,
S'en allèrent dans les cités
L'un l'autre se prôner : chacun d'eux croyait faire,
En prisant ses pareils, une fort bonne affaire,
Prétendant que l'honneur en reviendrait sur lui.
J'en connais beaucoup aujourd'hui,
Non parmi les baudets, mais parmi les puissances,
Que le Ciel voulut mettre en de plus hauts degrés,
Qui changeraient entre eux les simples excellences,
S'ils osaient, en des majestés.
J'en dis peut-être plus qu'il ne faut, et suppose
Que Votre Majesté gardera le secret.
Elle avait souhaité d'apprendre quelque trait
Qui lui fît voir, entre autre chose,
L'amour-propre donnant du ridicule aux gens.
L'injuste aura son tour : il y faut plus de temps.
Ainsi parla ce singe. On ne m'a pas su dire
S'il traita l'autre point, car il est délicat ;
Et notre maître ès arts, qui n'était pas un fat,
Regardait ce lion comme un terrible sire.


Pourquoi j’aime La Fontaine ? Mais à cause de la perfection métrique irréfutable de ses vers...


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