dimanche 25 octobre 2015

Kopp compose en deux temps

© Dernières Nouvelles d'Alsace, 11/09/2015
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Du tango argentin, des fantômes du blues : dans De ces mondes imprécis, l’auteur haguenovien Gabriel Eugène Kopp fait s’enlacer avec talent musique et poésie.


La musique, bien sûr, a toujours été là. Celui qui sait écouter entre les lignes l'aura perçue dans les vers chaloupés de Caraïbes (2009) ou ceux, syncopés, d'Un jour je m'en irai (2013). On a même senti l'aura d'un Bashung planer sur Mots de passe (2010, prix Jean-Cocteau). Et tout naturellement, Gabriel Eugène Kopp avait déjà choisi de mettre en musique certains de ses poèmes de Lorraines (2011).

Cette fois, dans De ces mondes imprécis, un recueil de « poèmes musicaux », l'auteur haguenovien se lance dans un véritable corps à corps sans demi-mesure. Il connaît la musique, car quand il se passionne, Kopp ne tergiverse pas, il veut tout -- pas forcément tout de suite, la musique n'ayant pas trouvé sa place dans l'HLM de son enfance, plantée sur un carreau minier. Ce n'est qu'adulte que le psychologue clinicien a appris avec ferveur le piano et le saxo alto.

Comme souvent, Kopp -- qui confesse une « légère graphomanie » -- est intarissable. Le recueil comptait au départ quatre partie s, il a fallu raccourcir. Alors exit (pour le moment) les comédies musicales et les silences : De ces mondes imprécis se joue finalement en deux temps. « Enragé » de Luis Borges, fasciné par Astor Piazzolla, Gabriel Eugène Kopp, 65 ans, a réservé sa face A au tango argentin -- ces Rêves penchés rougeoient de sensualité, on tourbillonne, on s'enlace sur fond de bandonéon. Loin de Buenos Aires, la face B nous embarque entre Baltimore et la Nouvelle-Orléans, convoque les fantômes du blues, de la soul, du jazz : les Rêves balancés sont des mots bleus, portés par des lignes de saxo ou d'harmonica.

Un vocabulaire au millimètre, une versification précise, le poète adopte parfaitement la métrique musicale, ses codes, sa rigueur. Mais le véritable tour de force réside dans l'art de s'émanciper d'un cadre maîtrisé, de jazzer... Kopp ne craint pas que la sueur ou le sang tachent ses mots, bien au contraire, chaque goutte enrichit un texte à la créativité formelle souvent réjouissante. Ça tinte, ça sonne, ça balance et pour finir, ça touche au coeur. « L'enfant chantonne/En poussant son ballon/À travers le miroir/Et le jazz épiphane/Gramophone/Graine aphone/Crâne/Crâne/Crâne  »


Céline Rousseau

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