Pour tous ceux qui se
manifestèrent : un grand merci et la suite de
RÊVEURS
Si vous voulez le prochain, le jeu
continue !
— Second
épisode —
Au pied
d’une montagne dans les villages, une nouvelle sème l’inquiétude : un
rêveur vient de mourir. On s’empresse d’en chercher un autre.
La petite sorcière me suivait depuis maintenant plus
d’une heure. Ses efforts pathétiques pour passer inaperçue me firent sourire. Je
n’avais plus le sens de l’humour depuis longtemps, et la résurgence de cette
émotion m’étonna comme peut étonner un signe de faiblesse dont on a cherché à
se débarrasser et qui fait un retour inopportun.
Je tournai ostensiblement le coin de la rue qui menait
chez moi et traînai des pieds un instant avant de franchir la porte. Autant que
je me divertisse un peu à ses dépens. Je refermai l’accès en bois incanté — je
l’avais préparé quand j’avais emménagé ici — et m’installai avec un soupir las,
les lombaires reconnaissantes et douloureuses, en haut de la volée de marches
qui montait à mes chambrées. J’ouvris mes sensations…
Peu de temps après, je l’entendis murmurer des mots
bien trop prévisibles dans la trame et je vis une forme floue traverser les fibres
de chêne. Je me contentai de souffler sur elle, comme on joue à se renvoyer une
plume quand on est gamin. Elle fut repoussée par la brise, mais retenta le coup
à plusieurs reprises. Avec le même effet : un souffle et une éjection.
Cette persévérance dans l’erreur était un défaut. J’allais la corriger. Son
dernier effort fut celui où je la coinçai d’une bise éloignée sur la joue. Elle
secoua le passage et la porte jusqu’aux ferrures, mais elle resta engoncée, le
visage dans une nodosité du bois, une partie du corps dans son fil, en me regardant
d’un air affolé et tragique.
Je descendis vers elle :
« Eh oui, c’est la vie ! Parfois on sent le
sapin avant même d’avoir traversé un chêne. Sale boulot, n’est-ce
pas ? »
« Non, ne cherche pas à philosopher, je n’ai pas
isolé tes neurones sensitifs, tu risques d’avoir très mal. Je te libèrerai un
peu si tu réponds à une question. Cligne des yeux une fois, si tu es
d’accord. »
Elle cligna une fois. Intelligente petite bête. Je
relâchai la pression en retirant une partie de mon baiser. « Baisers
envolés », ça me remémorait une balade qu’un de mes maîtres chantait
souvent. Je sifflotai… Elle hoqueta de souffrance :
« Qui, qui êtes-vous ?
— Non, non ! Alors non ! Franchement ce
n’est pas du jeu ! J’avais dit que c’était moi qui posais les questions.
Tut tut. »
J’agitais un index professoral devant son nez et la
regardais loucher.
« Maiaiaiai… »
Je n’avais pourtant pas invoqué de modificateurs
caprins…
« Bon, un mot de plus pour prouver ton absence de
contrôle de toi-même et je prophétise qu’il va t’arriver un malheur. »
J’inspirai. Elle dut entendre le début de la rumeur,
car elle vira au vert pâle, et au silence le plus total.
« Voilà ! C’est mieux. Alors, juste une
question. En trois mots, cela ne devrait pas excéder de beaucoup tes capacités
intellectuelles, ma petite. Tu as toutefois peu de temps pour répondre. J’ai
très mal au dos et je suis irritable dans cet état ; alors, pèse bien tes
paroles. Prête ? J’y vais ! Qui t’envoie ?
— Je ne sais pas, croassa-t-elle.
— Très mauvaise réponse. Finalement je me serai
trompé sur le peu d’intelligence dont je te gratifiais. Ma patience est très
limitée, petite. Tu entends la rumeur n’est-ce pas ? Tu sais ce qu’elle
signifie et tu sais que je ne l’ai pas arrêtée. Tu persistes cependant bêtement
à courir le risque. »
Je me doutais qu’elle s’était déconcentrée un instant,
mais à présent elle était à nouveau totalement opérationnelle. Elle donna très
vite les réponses franches que j’exigeais d’elle, car elle savait assez bien
estimer le temps restant avant que le brouhaha ne nous arrive dessus. Les dégâts
seraient pour elle. J’étais l’envoyeur et ces vents topologiques animés ne
pouvaient rien contre leur œil, moi en l’occurrence.
Je la libérai d’une pichenette en laissant toutefois
mon estampille dans son âme. Elle demeurerait irrémédiablement inféodée sans
qu’elle ne s’en rende compte, jusqu’à ce que je la lisse. Ça pouvait être
pratique un esclave de plus.
Je me frottai les mains. J’avais enfin trouvé du
travail. Une bande de guerriers se baguenaudait sans patron, dans un coin perdu
du pays et d’amusants amuseurs auraient aimé que je n’en apprenne rien. Très
maladroit ça ! J’avais un peu de numéraire dans mon bas de laine, mais pas
assez pour cracher sur ce genre de sauterie martiale. Ni pour perdre de vue le
nerf de ma guerre personnelle.
D’une part j’aurais eu l’information dès ma rentrée,
d’autre part il ne faut jamais juger les gens sur leur apparence. J’entretenais
depuis des années l’illusion de la vieille culotte de peau sur le retour,
rébarbative à souhait, les cuirs défraîchis et tachés, les armes rouillées et
les réflexes émoussés par les mauvais distillats, l’âme et les tactiques
sombrant dans l’ennui et les toxiques. Suffisamment loin dans le temps et dans
l’espace pour que plus personne ne s’interroge sur mon passé.
En tout cas ma tranquillité avait été rompue par la
mort d’un rêveur naturel ; les paysans et les bourgeois refaisaient
leurs inventaires à grands frais, et à part leurs provisions de bouche, ils
s’intéressaient de très près à la liste des anciens chefs militaires encore en
état de commander. Afin, bien évidemment, de les neutraliser par l’un ou l’autre
sort de grabat bien ajusté — l’assassinat a de ces variantes ! — pas pour
leur offrir une tournée et un petit repas gratuit.
Loupé mes agneaux. J’aimais l’argent autant que je
n’aimais pas gouverner, mais j’aimais encore moins qu’on me force la main, surtout
pas à la paralysie. Pour un vieux solitaire dans mon genre c’est mauvais pour
sa vie sexuelle et ça rend irritable. Je n’aurais pas pris le job si on m’avait
fichu la paix, pour le moins j’aurais hésité, mais maintenant j’allais m’amuser
aux dépens de quelques mécènes indélicats…
Finalement, je rentrerais peut-être chez moi plus tôt
que prévu.
Mon perroquet m’accueillit avec une bordée d’injures.
La marine ne vous lâche jamais. Et ce volatile s’était attaché à mon épaule dès
la première année de mon premier embarquement. C’est vrai qu’ils vivent centenaires !
Il faudra que je songe à le faire cuire proprement, ce bestiau bavard. Aux
petits navets confits, et à l’ail. Avant qu’il ne soit trop vieux et qu’aucune
étuvée ne puisse plus en faire autre chose qu’un mauvais brouet.
Qui est ce
curieux, cynique et puissant barbon ? Que signifie pour lui, rentrer à la
maison ?
4 commentaires:
A quand la suite ???
Signé : ( Âme Îre )
Au fait, à demain ;)
A l'abordage !
Et la suite fut ;)
La suite ! La suite !
au fond du bar accoudé, je surveille la ligne des méditations, je fixe le bouchon attendant, rêveur, la prochaine livraison...
allez, encore un pour la route Gabriel !
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