mardi 16 octobre 2012

FEUILLETON !



Pour tous ceux qui se manifestèrent : un grand merci et la suite de

RÊVEURS

Si vous voulez le prochain, le jeu continue !


— Second épisode —

Au pied d’une montagne dans les villages, une nouvelle sème l’inquiétude : un rêveur vient de mourir. On s’empresse d’en chercher un autre.


La petite sorcière me suivait depuis maintenant plus d’une heure. Ses efforts pathétiques pour passer inaperçue me firent sourire. Je n’avais plus le sens de l’humour depuis longtemps, et la résurgence de cette émotion m’étonna comme peut étonner un signe de faiblesse dont on a cherché à se débarrasser et qui fait un retour inopportun.
Je tournai ostensiblement le coin de la rue qui menait chez moi et traînai des pieds un instant avant de franchir la porte. Autant que je me divertisse un peu à ses dépens. Je refermai l’accès en bois incanté — je l’avais préparé quand j’avais emménagé ici — et m’installai avec un soupir las, les lombaires reconnaissantes et douloureuses, en haut de la volée de marches qui montait à mes chambrées. J’ouvris mes sensations…
Peu de temps après, je l’entendis murmurer des mots bien trop prévisibles dans la trame et je vis une forme floue traverser les fibres de chêne. Je me contentai de souffler sur elle, comme on joue à se renvoyer une plume quand on est gamin. Elle fut repoussée par la brise, mais retenta le coup à plusieurs reprises. Avec le même effet : un souffle et une éjection. Cette persévérance dans l’erreur était un défaut. J’allais la corriger. Son dernier effort fut celui où je la coinçai d’une bise éloignée sur la joue. Elle secoua le passage et la porte jusqu’aux ferrures, mais elle resta engoncée, le visage dans une nodosité du bois, une partie du corps dans son fil, en me regardant d’un air affolé et tragique.
Je descendis vers elle :
« Eh oui, c’est la vie ! Parfois on sent le sapin avant même d’avoir traversé un chêne. Sale boulot, n’est-ce pas ? »
« Non, ne cherche pas à philosopher, je n’ai pas isolé tes neurones sensitifs, tu risques d’avoir très mal. Je te libèrerai un peu si tu réponds à une question. Cligne des yeux une fois, si tu es d’accord. »
Elle cligna une fois. Intelligente petite bête. Je relâchai la pression en retirant une partie de mon baiser. « Baisers envolés », ça me remémorait une balade qu’un de mes maîtres chantait souvent. Je sifflotai… Elle hoqueta de souffrance :
« Qui, qui êtes-vous ? 
— Non, non ! Alors non ! Franchement ce n’est pas du jeu ! J’avais dit que c’était moi qui posais les questions. Tut tut. »
J’agitais un index professoral devant son nez et la regardais loucher.
« Maiaiaiai… »
Je n’avais pourtant pas invoqué de modificateurs caprins…
« Bon, un mot de plus pour prouver ton absence de contrôle de toi-même et je prophétise qu’il va t’arriver un malheur. »
J’inspirai. Elle dut entendre le début de la rumeur, car elle vira au vert pâle, et au silence le plus total.
« Voilà ! C’est mieux. Alors, juste une question. En trois mots, cela ne devrait pas excéder de beaucoup tes capacités intellectuelles, ma petite. Tu as toutefois peu de temps pour répondre. J’ai très mal au dos et je suis irritable dans cet état ; alors, pèse bien tes paroles. Prête ? J’y vais ! Qui t’envoie ? 
— Je ne sais pas, croassa-t-elle. 
— Très mauvaise réponse. Finalement je me serai trompé sur le peu d’intelligence dont je te gratifiais. Ma patience est très limitée, petite. Tu entends la rumeur n’est-ce pas ? Tu sais ce qu’elle signifie et tu sais que je ne l’ai pas arrêtée. Tu persistes cependant bêtement à courir le risque. »
Je me doutais qu’elle s’était déconcentrée un instant, mais à présent elle était à nouveau totalement opérationnelle. Elle donna très vite les réponses franches que j’exigeais d’elle, car elle savait assez bien estimer le temps restant avant que le brouhaha ne nous arrive dessus. Les dégâts seraient pour elle. J’étais l’envoyeur et ces vents topologiques animés ne pouvaient rien contre leur œil, moi en l’occurrence.
Je la libérai d’une pichenette en laissant toutefois mon estampille dans son âme. Elle demeurerait irrémédiablement inféodée sans qu’elle ne s’en rende compte, jusqu’à ce que je la lisse. Ça pouvait être pratique un esclave de plus.

Je me frottai les mains. J’avais enfin trouvé du travail. Une bande de guerriers se baguenaudait sans patron, dans un coin perdu du pays et d’amusants amuseurs auraient aimé que je n’en apprenne rien. Très maladroit ça ! J’avais un peu de numéraire dans mon bas de laine, mais pas assez pour cracher sur ce genre de sauterie martiale. Ni pour perdre de vue le nerf de ma guerre personnelle.
D’une part j’aurais eu l’information dès ma rentrée, d’autre part il ne faut jamais juger les gens sur leur apparence. J’entretenais depuis des années l’illusion de la vieille culotte de peau sur le retour, rébarbative à souhait, les cuirs défraîchis et tachés, les armes rouillées et les réflexes émoussés par les mauvais distillats, l’âme et les tactiques sombrant dans l’ennui et les toxiques. Suffisamment loin dans le temps et dans l’espace pour que plus personne ne s’interroge sur mon passé.
En tout cas ma tranquillité avait été rompue par la mort d’un rêveur naturel ; les paysans et les bourgeois refaisaient leurs inventaires à grands frais, et à part leurs provisions de bouche, ils s’intéressaient de très près à la liste des anciens chefs militaires encore en état de commander. Afin, bien évidemment, de les neutraliser par l’un ou l’autre sort de grabat bien ajusté — l’assassinat a de ces variantes ! — pas pour leur offrir une tournée et un petit repas gratuit.
Loupé mes agneaux. J’aimais l’argent autant que je n’aimais pas gouverner, mais j’aimais encore moins qu’on me force la main, surtout pas à la paralysie. Pour un vieux solitaire dans mon genre c’est mauvais pour sa vie sexuelle et ça rend irritable. Je n’aurais pas pris le job si on m’avait fichu la paix, pour le moins j’aurais hésité, mais maintenant j’allais m’amuser aux dépens de quelques mécènes indélicats…
Finalement, je rentrerais peut-être chez moi plus tôt que prévu.
Mon perroquet m’accueillit avec une bordée d’injures. La marine ne vous lâche jamais. Et ce volatile s’était attaché à mon épaule dès la première année de mon premier embarquement. C’est vrai qu’ils vivent centenaires ! Il faudra que je songe à le faire cuire proprement, ce bestiau bavard. Aux petits navets confits, et à l’ail. Avant qu’il ne soit trop vieux et qu’aucune étuvée ne puisse plus en faire autre chose qu’un mauvais brouet.

Qui est ce curieux, cynique et puissant barbon ? Que signifie pour lui, rentrer à la maison ?

4 commentaires:

Anonyme a dit…

A quand la suite ???

Signé : ( Âme Îre )
Au fait, à demain ;)

L'amiral a dit…

A l'abordage !
Et la suite fut ;)

Anonyme a dit…

La suite ! La suite !

@xG a dit…

au fond du bar accoudé, je surveille la ligne des méditations, je fixe le bouchon attendant, rêveur, la prochaine livraison...
allez, encore un pour la route Gabriel !