dimanche 7 janvier 2018

Je suis honoré...



Cérémonie de remise du prix Jean Aubert 2016
le 28 octobre 2017 à Paris
à
Gabriel Eugène KOPP
pour son ouvrage
Les heures du dragon
Éditions Flammes Vives


Remerciements (extraits)
Chers amis,

Ce m’est une joie sans pareille d’être élevé à ce prix Jean Aubert convoité par tant de poètes. Me trouver avec vous, sous ces voûtes aux pierres apparentes, dans cette maison où vécut Verlaine, et dans une rue qui porte le nom d’un de mes philosophes favoris, René Descartes, n’est pas non plus un mince bonheur pour un petit auteur de province. Puisque me voici distingué par vous tous ici présents, et admis dans vos rangs prestigieux, je sacrifierai un instant à ces penchants qui me font raconteur et penseur, à mon goût de vagabond méthodique éveillé dès ce matin par une belle balade – celle que nous ont fait faire Patrick Picornot et Aumane Placide pour nous montrer les résidences des écrivains du village Mouffetard.
[…]
J’arpentais déjà depuis deux jours les galeries et les expositions de la capitale, et surtout les demeures d’artistes transformées en musées. Dès l’hôtel particulier de Gustave Moreau, un bijou extraordinaire dans une mégalopole livrée aux miasmes et à la vie chère, dès ce palais de l’érudition et des arts, une ancienne question refit surface : l’endroit, son contenu, moi Achab et la poésie ma baleine blanche, m’y forcèrent. Rien à dire contre cette force, rien à objecter au destin : mon nom est souvent Ismaël, aussi bien !
Les peintres ont le leur, taché, odorant ; les danseurs une scène devant des fauteuils encore déserts, ou leurs miroirs, leurs barres d’appui ; bastingages, les voyageurs, la mer et le radoub ; le fer et la forge, les sculpteurs, la pierre, le bois et le ciseau, soit !
Mais quel est l’atelier du musicien : l’instrument abandonné qui l’attend, cinq lignes, quatre interlignes, des clés ? Et quel est donc l’atelier du poète : la plume, l’encre, le sang, le papier ? Où, pour nous, se trouve ce temps d’indécisions et de décisions ? Dans quelle artère, ce lieu de l’art ? Peut-on hasarder la question ainsi ? Un substantif, si fortement connoté avec l’espace et la géographie convient-il ? Peut-on parler ici d’un endroit où se secrète et se décrète qu’un travail est une œuvre d’art ? À cette précision presque inquiétante, nouveau souci : qui en jugera ?
Évitons l’écueil de la vanité. Soyons plus abstraits : définissons un endroit (ou un envers) où se trame et se fait le « tout ou presque » de la création : l’atelier évidemment ! Retour à l’énigme alors que les sentes de mes songes égaraient.
 […]
En fait, j’ose dire que vouloir produire ne signifie rien. Se mettre au travail sans compter sur un résultat final est l’essentiel : tourments ou patiences… Pourquoi l’atelier est-il crucial à mes yeux ? Ce n’est pas un caprice lié à notre rencontre et à mes promenades parisiennes, c’est une pensée dont l’origine, extraite de ma terre et de ma vie — puissantes végétations — me suit et me précède depuis longtemps.
Il est l’endroit, je crois, où le tabou est abattu !
Le propre d’un tabou est en effet d’exterminer le mystère. Alors que le travail d’art fait vivre les énigmes par les ébauches et les épures ; l’œuvre finie, vendue, exposée, récitée, lue, ressuscite ce tabou qui cache le travail effectué.
Et qui se définit par une autre question : combien la logique de l’exhibition coupe-t-elle de racines ou d’histoire ? Au risque de choquer, je réponds à côté : la gestation est tout, la naissance, juste un coup… de couteau… une délivrance qui peut demeurer floue.
[…]
L’atelier est le seul abri, partant le seul lieu de décision, le seul temps de la liberté ! Avant lui n’existe que la réalité qui nous enchaîne ; et quand on le quitte, lui, elle, cette salope, revient ! Je déteste cordialement ceux qui firent à Gustave Courbet un procès - une confusion confondante - pour réalisme ! Souvenez-vous de ce qu’on lui reprocha, même parmi ses amis. Les amis sont les plus suaves et les plus efficaces traîtres qui soient.
Mais peu importe mes aigreurs et mes rouspétances, nous cherchons l’atelier du poète.
Je me penche sur cette question depuis tant de lignes et aujourd’hui je vous l’avoue : ma réponse était erronée ! Toutes ces réflexions pour se perdre ? Voilà qui ne me gêne pas, car se perdre est une façon respectable de frayer un chemin. Ma réponse était « la page vierge », une idée fixe de feuille blanche… Et deux jours d’égarements, de musées et d’expositions sur les traces du quotidien de peintres et de sculpteurs m’ont aidé à repenser ma pensée. Aussi ai-je renoncé à cette proposition devenue obsédante…
Il était comme un interdit ou un impératif, ce feuillet vide : en fin de compte aussi angoissant et vachard que la réalité ! Or dans un atelier, tout semble prouver, du fourbi jusqu’à la méthode, en passant par le stratagème, qu’on peut  s’y abriter, s’en écarter, de cette réalité !
L’atelier du poète, où est-ce ? J’ai fait le compte, mentalement, sans tricher, de tous mes inaboutis, des recueils de strophes et de vers en instance sur mon bureau, des compilations de nouvelles en construction, des romans à divers stades de fabrique, des archives de conférences, de cours, de lettres et d’ébauches qui seraient annuaires si j’étais cabotin… alors ? Parmi ces milliers de pages infinies non finies, j’ai à choisir enfin, j’ai choisi et je conclus, heureux : eh bien les ateliers du poète sont pluriels, ce sont, s’il se peut…

ses brouillons.

Je vous remercie de votre attention



De gauche à droite Patrick Picornot et Claude Prouvost, poètes et éditeurs qui m’ont aidé à vivre cette journée. Une déférence particulière à Patrice Breno, indisponible ce jour-là, qui a accepté d’introduire mon livre.
À Jean Moraisin, mes cordialités : une parole vive partagée, c’est de plus en plus rare de nos jours ! Nous avons prouvé que la table restait un lieu convivial.
Ils connaissent mes contes et mes vers, alors pour eux, ces quelques phrases en hommage :



« Quand j’écris une histoire, je ne suis qu’un tissu de passé, je me sers du déroulement du roman ou de la nouvelle et du vocabulaire pour raconter…
Mais quand j’écris des vers je ne peux pas me servir des mots ou du temps : ce sont les mots et les chants qui se servent de moi pour une manière exclusive de parler du monde au monde… et le temps, quant à lui, superbe, m’ignore : quand j’écris de la poésie, j’ai juste un avenir... »

G.E.KOPP « Qu’est-ce que la poésie » recueil à l’atelier  

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