Synopsis
Lettre ouverte pour des éditeurs et des lecteurs encore poètes
Saisi par une idée, ravi par les chimères,
J’écris tout plein d’allant mes petites chansons.
Feuille à feuille j’emplis mes cahiers de brouillon,
D’ébauches et d’essais, de traits à ma manière ;
Quand, l’âme satisfaite et l’esprit insolent,
La fin m’est entendue, la rimaille complète,
J’arrache par pudeur la limaille imparfaite
Et lui fais miroiter un destin moins galant.
Rougeoyante équipée, suprême sacrifice
Pour leur dernier instant, des pages vont au feu
Compagne des nuées vers un ciel vaporeux,
Complices des oiseaux promenant mon caprice.
Délavés, portulans obscurs et défraîchis,
D’autres vers déchirés par mes mains impatientes,
Mouillés par les odeurs, constellés par les fientes,
Au trajet des déchets finiront confettis.
A moins qu’un doux refrain coulis sous bonne étoile,
N’en protège un parti, modeste cerf-volant,
Et l’emporte au hasard, propulsé par le vent,
Chercher un autre port, navire à toutes voiles.
Sur les branches des airs, sur un arbre aérien
Le flocon griffonné qui finissait mistoufle,
Au lecteur indiscret ne dira dans un souffle
Que quelques mots sans fin dérobés à ma main.
Si, passionné lecteur emporté vers le rêve,
Les esprits griffonnés te prennent volontiers,
Tu lis et tu relis cette missive brève ;
S’ils confient à ton cœur ce qui s’y recueillait,
De l’ode parcourant le layon déchiré
Les taches, les défauts, les clairières partielles,
Persévérant ami, que les mots ensorcellent,
De l’écrivain perdu te seras rapproché.
Si ma mémoire est bonne, ou les mémoires des autres, Paul Valéry disait qu’il publiait pour arrêter de corriger. Le message est plein d’humour et de sagesse, mais loin d’être clair si on le lit à la lettre. A peu près comme ce premier mot, « Synopsis » entre « Sy » et « si », où me voici saisi par le verbe, dès avant de le dire, avant même les dits et l’édit.
Foin d’enjouement et de joliveté. Soyons si (encore) possible (bis) circonspect et circonstancié (oui, si si… et j’en oublie) : je lis, j’écris depuis longtemps mais je n’ai pas encore réussi à déterminer laquelle de ces deux aventures nourrissait réellement l’autre, d’un pain plus savoureux que celui de l’apparence. J’ai eu des soupçons toutefois, et sur la foi de ces soupçons - voilà un évènement, des soupçons qui ratissent large et trouvent une foi - je crois nécessaire d’y croire :
« Tu dois le dire trois fois » susurrait le démon dans Faust.
Ecrire, par le passé, proposer à la publication au présent (soyez magnanime devant ce coup philosophique) sera une manière que mes plus vieux fantômes débarrassent enfin le plancher : à force d’accumuler les tréteaux, on empile les plafonds, on se prend solives et chambranles plein la tête à la moindre marche ; au plus petit pas apparaît un coincement, au plus infime mouvement un pinçon térébrant : un chef plein de poutrelles et possiblement des tas de bosses douloureuses.
Peu de place en tout cas, pour de nouvelles apparitions : c’est utopique d’œuvrer sans un ménage dans un tel manège.
Bref ! Monsieur mon balai, il faut que cela sorte.
Que cela aille chez des autres, fasse une livre, ou un livre, une chose d’un demi-kilogramme ou d’un demi-kilomètre, auquel essoufflé par le poids ou la distance je ne puisse plus imputer mes apnées ; que ses erreurs ne me coupent plus le souffle, sauf, ultérieurement, acta est fabula, par graffiti studieux !
Pouvoir dire de quelque chose : « C’est fini », quel repos effarant et délicieux.
Allons, âne et bât à la fois, reviens à tes fariboles, tu es convaincu que la rigueur est poudre aux yeux, mais qu’écrire de la poésie demande pourtant d’être très rigoureux. Perlimpinpin ! On n’est jamais certain. Passez muscade : sait-on ce que l’on dit et ce que l’on laisse en rade ? Radotons :
Madame ou monsieur l’éditeur (trice) de littérature (dur)
Madame ou monsieur l’éditeur (trice) de poésie (si)
Messieurs-dames les combattants et défenseurs des causes perdues (du)
Lecteur… trice
Qui goûtez la vie (vice)
Salut
Ce que ces années d’écriture m’ont apporté ? La fin de la pudeur ? Je bricole des vers méprisables : ils émeuvent aux larmes les fêtes de village, les anniversaires, les enterrements et les rencontres de patronage. Dans les sous-sols où se bouleversent des gens de toutes races, ils bouleversent les gens auxquels je les dédicace. Ils rient, confus, généreux, reconnaissants, et m’invitent, pour marquer le coup, à un verre ou une tablée, un sandwich ou une fricassée, me racontent alors leurs joies, leurs peines, leurs vies. Je donne le poème et je reçois à manger. On me nourrit ! Qui a dit que cela ne munissait pas son homme ? Qui a prétendu que personne ne donne ? Ce n’était pas un pauvre, en tout cas. Aussi je cherche qu’existe une poésie vivante et donnant de la vie.
Que ceux qui s’en réclament clament un instant autre chose qu’un déni : maigres agonisants ou menteurs hystériques, hiératiques exorbités au-dessus de la racaille, sanglotant parce que la popoésie est inénédite et ne fait plus recette de popotte. Z’ont qu’à faire gras, de qualité, et populaire ! Na !
Le règne de la facilité et du mépris est un complot pour faire mourir la littérature. Montaigne est enterré. Rabelais est bien mort. Seuls quelques cadavres exquis cliquettent encore.
Le silence se fait enfin.
Le chant alors s’élance :
« Chemine,
Divague,
Attarde-moi.
Titube, recule, jaillis,
Regarde-toi.
Hésite, vois ta déroute,
Profite du suspense,
Essuie le sang
Et la sueur de la route
Avec ton chiffon d’horizon.
Interroge et simule,
Déraille, détaille,
Voltige,
Tombe sur le cul
Et va, retrouve ton sillon.
Vole au dessus de ton gramophone,
Il faut que ta voix,
Laser aphone,
Porte ! »
Et il franchit la porte,
Echappe.
Dix mille vers.
Et s’il franchit la porte
Elle, échappée,
S’y perd
Si j’ai bien retenu le cri des muses, le message en filigrane, j’aurais définitivement triomphé d’Apollon en continuant de ciseler des vers maladroits qui tentent de parler aux cœurs assemblés autour d’une table où l’on boit réellement, où l’on mange en mastiquant avec de vraies, ou de fausses, dents, et postillonnant, où des voix incarnées murmurent à l’unisson dès la seconde lecture, et chantent à la suivante, car la mémoire, la mémoire n’est-ce pas ? Mnémosyne ? Entre poésie et musique paroles à coup d’émotions se montre une échappée, une métaphore qui abouche la transcendance à la répétition.
Muse ! Ecoute ! Je proposerai des vers de remerciement à l’hôte qui ensoleille ses menus d’un air de ciel bleu et d’un sourire de bienvenue, là-haut près des vignes pas encore vendangées en un mois d’octobre aux beaux restes dorés, et je lui écrirai un mot pour sa bière simple, fraîche, fine, amère et pétillante, en attendant son vin. Un alexandrin pour sa saucisse paysanne et sa moutarde, et s’il le faut je le ferai allemand, pour un verre, avec de la rime, de la pauvre ou de la riche, de la césure à l’hémistiche, de celle qui se travaille et se bricole, cent fois sur le métier on s’y colle, et pour paraphraser Genet, je chercherai à être entendu de Ronsard et qu’il me lise et me jette. Quelle fête !
J’en suis déjà à la métaphysique ? Lecteur, au terme de cette lettre vous aurez, saisi par les ondes douloureuses de la migraine, besoin d’une prescription, de comprimés ! Vous cacherez le pli, maniaque momentané de l’ordre vertical, publication peu, poubellication oui. Cette lettre passera pour lettre de cachet, ordonnance, remède pire que le mal, missive mi-dite, mise en lumière et à l’ombre. Potion à avaler d’un trait sans grimace, juste après le repas : hors d’ici pesantes fumerolles ! Digestions difficiles, je vous vomis sur page blanche, je passe d’une rumination malaisée à une gestion du dire écrit.
Des poésies s’accumulent ? Je suis fichu ! Savez-vous que je pleure en faisant la liste des courses, transfiguré en litanie, confit en dévotions. Confiture d’homme. La poésie ? Qu’elle m’emporte un instant !
Gérontes
A tombeau ouvert
Sur mer et sur terre
Barbus
Vingt vieux barbichus
Se tapent le cul
Par terre
Mauvais caractères
Méchantes misères
Chenus
Vains dieux pauvres hères
Se grattent leur derrière
Crépu
Foncent sans vergogne
Tirent pleines pognes
Des poux
Des poches à trous
Et pas un seul sou
Carognes
Puis ce tas d’ivrognes
Qui pue et qui grogne
Echoue
Au fond d’une soue
Eclaboussant tout
Ils hognent !
Listes de courses ? Qui peut prétendre à la réalité lorsqu’il écrit ? Qui érige la crédibilité en critère ? J’ai le sentiment, affaire de vibration, que la trace matérielle de l’encre sur le vélin est bien moins proche de l’objet que le vent et l’onde, portants de la parole. Alors, de genres ou de gares ? Gare, on se goure avec ces giries qui paraissent garer la littérature dans des grilles !
Demanderiez-vous des extraits ? En voici !
Et je vous souhaite, pour la peine prise à maintenir les flambeaux du verbe, que la musique des mots vous soit polychrome, c’est-à-dire ait ce don fellinien enfin, de synopsie.
Cinéma !
« Marche dans les villes,
Décris-les de l’une à l’autre, vagabond aventurier ! »
Je fais des kilomètres de solitude à ma façon Charlot.
Je marche, marche toujours, prince sans divertimento...
Il pleut ! Verlaine se détisse de ma paroisse malaisée,
En quelque endroit de mon cerveau
Pose sa plume à nouveau,
Me regarde et me distille :
« Tu parlerais d’amour, ou de cul, à une fille mouillée,
Qui pleure et danse son sourire sous les cordes tombées ? »
Je viserai, oui, ses courbes affines, et à la sortie de l’usine
D’un rire lui chanterai : « Je cherche après Titine ! »
Jusqu’à l’estaminet.
Très cordialement,
G. E.K
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